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Finance durable : un agenda réglementaire chargé, vecteur de transformations

La présente note fait suite à l’Episode n°1 : Une accélération de la structuration de la transparence en matière de finance durable, dans lequel nous avons notamment présenté pour chaque texte réglementaire (SFDR, taxonomie, article 29 de la Loi Energie Climat, CSRD) une fiche de synthèse précisant le public assujetti, une description du contenu de la règlementation concernée, où l’information doit être publiée ainsi que le calendrier de mise en œuvre.

Cette note est consacrée à la description et l’analyse des défis à relever pour faire face aux attendus de la réglementation en matière de finance durable, en termes de données, d’outils et systèmes, de processus et de politique d’investissement, de gouvernance et de communication.

Data

Afin d’intégrer les dimensions ESG dans leurs décisions d’investissements, dans leurs produits et de se conformer aux exigences de reporting, les acteurs financiers doivent collecter, rassembler, traiter et conserver des informations qualitatives et quantitatives en grand nombre. A titre d’exemple, la réglementation SFDR impose aux acteurs des marchés financiers de communiquer sur l’ensemble de leur portefeuille, les principales incidences négatives (PAI) sur les questions de nature environnementale, sociale et de personnel, le respect des droits de l’homme, la lutte contre la corruption et les actes de corruption. Afin d’identifier ces PAI, une liste de 18 indicateurs obligatoires a été publiée en annexe des projets de RTS.

Alors que les données financières répondent à des critères standardisés, les données autour des critères ESG sont non standardisées, hétérogènes, varient d’un acteur à l’autre et sont difficiles à rassembler, ce qui fait peser des défis en termes d’accessibilité de la donnée entrainant beaucoup de retraitements manuels pour les obtenir. En effet, la collecte de la donnée est un travail chronophage et complexe avec comme principale difficulté la disponibilité des informations de l’entreprise / du fonds sur lesquels les investissements sont réalisés. Alors que certaines classes d’actifs se prêtent plus aisément à une analyse ESG pointue dont les informations sont disponibles chez les fournisseurs de données ESG, à l’inverse d’autres investissements tels que les investissements à haut rendement (High Yield), les investissements réalisés dans des petites capitalisations ou les investissements réalisés dans des marchés émergents pour lesquels les informations se font plus rares et sont moins homogènes, nécessitent un travail d’identification des données adéquates, une analyse de leur pertinence et de leur qualité au regard des exigences réglementaires.

Face à ces difficultés, les acteurs se tournent ainsi vers des prestataires de données spécialisés dans les données extra-financières sur des investissements non-cotés et dont les informations ne sont pas disponibles au sein des agences de notation (données brutes, scoring ESG) afin de constituer un référentiel spécifique au sein de l’entreprise qui devra être historisé et mis à jour régulièrement, ce qui fait également peser un enjeu en termes de coûts financiers.

Outils et systèmes

La collecte, le traitement et la conservation des données ESG supposent d’avoir des systèmes d’informations établis en connexion avec les sociétés institutionnelles, les fournisseurs de données et les systèmes d’informations des entreprises investies.

Les schémas directeurs IT doivent intégrer des flux d’informations automatisés et des templates normalisés pour garantir l’exhaustivité, la qualité de la donnée afin de réduire au maximum le traitement manuel d’échange d’informations entre les différentes parties prenantes. Ces données serviront également à produire les reportings extra-financiers et analyser la performance des produits financiers intégrant les critères ESG.

Ainsi, les réglementations en faveur de la finance durable poussent les acteurs à s’interroger sur l’organisation des outils et systèmes d’information.

A noter que dans l’objectif de synthétiser l’ensemble des données ESG que les assureurs recevront des gestionnaires d’actifs et fournisseurs de produits structurés, données requises à la fois pour MIFID 2 et DDA à partir du 01/08/2022 et pour la SFDR à partir du 01/01/2023, le groupe Financial Data Exchange Templates (FinDatEx), qui a développé les formats TPT (Solvabilité 2), EMT (MiFID), EPT (PRIIPs), a publié le 14/03/2022 une nouvelle maquette, l’EET (European ESG Template).

Processus et politique d’investissement

La réglementation conduit les acteurs financiers à repenser leur stratégie et les processus d’investissement en intégrant des critères ESG, ce qui passe par l’identification et le suivi des objectifs ESG du portefeuille et des produits et l’évolution de la politique d’investissement de l’organisme.

Les assureurs doivent avoir la capacité de challenger les sociétés de gestion d’actifs, de leur fixer des règles ESG et de vérifier le respect de ces règles. Les processus de contrôle des données doivent être adaptés afin de s’assurer de l’exhaustivité, de la qualité des données ESG collectées et historisées.

Les organismes devront s’assurer de l’adéquation de leurs règles ESG avec les produits et les objectifs exprimés par les clients finaux, les assurés, le cas échéant. Ils devront enfin s’assurer de l’alignement de ces règles avec la stratégie globale de l’organisme en matière de RSE (trajectoire en cohérence avec les accords de Paris, suivi des engagements climatiques concernant les énergies fossiles par exemple, etc.).

Dans leur rapport commun de décembre 2021 sur le suivi et l’évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place, l’ACPR et l’AMF formulent en effet le constat que « nombre d’observations et de préconisations faites en 2020 restent toujours d’actualité » et soulignent le fait que « les efforts méthodologiques à accomplir restent très importants, à la fois en termes de transparence de l’information, d’homogénéité des définitions et de suivi des expositions ». Elles avertissent sur le fait que leur rapport s’appuiera de façon croissante sur les informations collectées dans le nouveau cadre réglementaire en matière de finance durable et plus particulièrement sur les obligations de l’article 29 de la loi Energie Climat. Elles porteront davantage d’attention au contrôle des obligations de transparence et à l’évaluation de la qualité des informations transmises par les institutions financières.

Gouvernance

Face à ces évolutions, les entreprises doivent faire évoluer leur gouvernance pour intégrer la durabilité dans leur stratégie. Pour les assureurs, cette exigence fait d’ailleurs l’objet du règlement délégué (UE) 2021/1256 publié le 02/08/2021. Entrant en application le 02/08/2022, ce règlement complète la directive Solvabilité 2 concernant « l’intégration des risques en matière de durabilité dans la gouvernance des entreprises d’assurance et de réassurance ». Les exigences attendues concernent l’intégration de ces risques dans le Besoin Global de Solvabilité, dans le système de gouvernance, par la fonction gestion des risques, par la fonction actuarielle et dans le système de gestion des risques (politiques de souscription, de provisionnement, de gestion du risque d’investissement, de rémunération …).

En matière de risques climatiques, afin d’aider les organismes dans leur démarche d’intégration de ces risques dans leur gouvernance, l’ACPR a à ce titre publié le 17/02/2022 une note contenant des illustrations pratiques. Il y est notamment relevé l’importance de la fonction RSE, qui « apparaît désormais comme un acteur majeur de l’élaboration et de la mise en œuvre de la stratégie climat des organismes ». De manière plus globale, les interactions entre la fonction RSE, fonction transverse à l’entreprise, et la fonction gestion des risques sont d’ailleurs en croissance exponentielle.

Pour plus d’informations sur le règlement délégué 2021/1256 et sur la note de l’ACPR sur la gouvernance des risques climatiques, vous pouvez consulter la note de rappel de texte établie par Twobii.

Communication

L’écosystème de la finance durable repose sur une communication transparente sur la durabilité ou la conformité à la taxonomie des produits et activités financiers. Les réglementations telles que la directive SFDR ou la taxonomie européenne impliquent en effet des exigences de transparence sur l’ensemble de l’organisme, la mise à jour de la documentation précontractuelle, de la documentation commerciale ainsi que de la politique d’engagement en faveur de la durabilité incluant la publication des résultats.

Les travaux de révision des documents d’information et la diversité des supports tels que le site internet, la documentation précontractuelle des produits, les rapports de gestion, ou encore les déclarations extra-financières sont ainsi potentiellement lourds à mettre en place et nécessitent une vigilance particulière au regard des exigences croisées des différents textes réglementaires.

Mais si la quantité d’informations à communiquer est conséquente, celle-ci ne doit pas se faire au détriment de leur qualité. Comme l’explique l’EIOPA dans sa feuille de route 2022-2024, alors que le secteur est confronté au défi de l’intégration des préférences en matière de durabilité dans les produits d’assurance et de retraite, les autorités de surveillance seront confrontées au défi de la lutte contre le greenwashing. Si l’Autorité est chargée d’apporter des conseils sur les rapports et les reportings prévus par les règlements SFDR et Taxonomie, elle prévoit également d’apporter des conseils à la Commission Européenne sur les mesures visant à lutter contre le greenwashing et d’élaborer des orientations sur l’application des dispositions relatives à la durabilité dans le processus de vente d’assurance.

Quant au niveau national, comme indiqué précédemment, l’ACPR et l’AMF ont averti de leur intention de porter davantage d’attention au contrôle des obligations de transparence et à l’évaluation de la qualité des informations transmises par les institutions financières.

Mélina Benmansour